A la rencontre des os de baleine
Lors d’un de mes nombreux déplacements en brousse en bord de mer, j’ai eu le plaisir de voir en dehors d’un musée mon premier os de baleine, une épaule assez grande, plantée aux quatre vents, utilisée comme panneau indicateur, sur lequel était peint, d’une écriture hésitante, le nom de l’hôtel, dans lequel nous logions.
J’ai d’abord cru que c’était la queue de l’animal, elle en avait la forme, la puissance, mon imagination venant au secours de mon ignorance.
Tout de suite, j’ai aimé cet objet que j’ai immédiatement perçu comme un support possible de mon travail, si évocateur de puissance, de rareté, d’espace, de nature, d’océan, d’environnement, de protection, de respect vis à vis de ces grands mammifères, d’histoire de voyage au long cours, mais aussi paradoxalement comme quelque chose de très fragile face aux forces de la nature.
Elle n’était pas à vendre, mais l’idée que je puisse un jour utiliser ce type de support était acquise. M’en procurer un spécimen n’a alors cessé de me hanter.
L’occasion s’est présentée plus tard lors d’un voyage au Sud d’Ambovombé à Madagascar. C’est en poursuivant mes chimères et en suivant l’itinéraire d’une de mes formations en design avec les artisans
Trois heures dans un labyrinthe de pistes souples très sablonneuses, bordées de haies de variétés de cactées aux épines acérées, de didiereacées, d’euphorbiacées et bien d’autres plantes endémiques entre lesquelles louvoyait avec peine notre 4X4.
Nous traversions des villages, des champs cultivés de maigres plantations de pois, et de maïs.
Nous longions quelques bassins de récupération d’eau de pluie vides depuis des lustres qui ajoutaient à l’ambiance de dénuement et de pauvreté de la région, dont la nappe phréatique surexploitée, régulièrement soumise à la sécheresse, n’alimente que difficilement la population de l’endroit.
Les quelques arbres malingres que nous croisions, tous courbés vers l’intérieur des terres témoignaient la violence des vents du Sud en période hivernale, et forçaient le trait de ce paysage désolé.
Après une trentaine de kilomètres d’un parcours chaotique, accompagné par des villageois qui s’accrochaient à la voiture, et au bout d’une piste tracée par le passage répété des charrettes, nous ne pouvions plus poursuivre notre route avec notre véhicule au risque de ne faire qu’un aller simple.
Aussi, avons-nous décidé de continuer à pied les quelques kilomètres jusqu’au lieu d’échouage, sous un soleil ardent, suivant nos guides à travers les sentes, flanqués d ‘ une ribambelle d’individus, enfants et adultes qui s’interrogeaient sur nos intentions, avides surtout de tirer quelques menus profits de notre présence sur ces terres éloignées.
Image inoubliable, que celle de la vue qui s’est offerte à nous au sommet de la dernière dune. La rupture d’une végétation aride avec la réverbération éblouissante du soleil sur un sable blanc, pur, une mer bleue qui se fracassait avec une rare violence sur un récif accolé à la côte.
Des pêcheurs à la progression lente, hommes, femmes à la ramasse de quelques coquillages et poissons coincés dans les trous d’eau, d’une marée descendante.
Et au loin, un peu en dessous de la ligne d’horizon, des dizaines de baleines qui jouent, soufflent, sautent, claquent leurs queues sur les eaux semblant s’adonner au jeu de celle qui fera le plus de bruit ou de remous.
Rien d’exceptionnel dans le quotidien des villageois, mais pour nous,des
sensations extraordinaires d’autant plus fortes, que nous étions venus dans ce coin perdu, justement pour récupérer ou du moins vérifier si nous pouvions ramasser quelques os du cétacé échoué 6 ou 7 mois auparavant.
Je me plais à penser que cette image était un présage et un vrai signe de bienvenue, une bénédiction de mes intentions, et peut être l’écho lointain d’un message des baleines, approuvant ma démarche, signe aussi de l’attention que l’on doit prêter à notre fragile environnement.
Malheureusement, la plupart des os avaient été rongés par le sable et l’eau de mer. Seule une épaule et un morceau de côte qui avaient été cachés dans les broussailles par les pêcheurs ont pu être sauvés et pouvaient servir de support à mon travail.
Depuis ce jour, et la découverte de ces premiers os, je n’ai eu de cesse d‘en chercher d’autres, dont la forme, l’esprit, la taille et la dimension émotionnelle continuent de m’inspirer.
En trouver n’est pas une simple affaire, il faut mener une véritable enquête, être à l’écoute des pêcheurs, croiser les informations, suivre son instinct, se méfier des fausses pistes afin d’éviter les déplacements inutiles, et ne pas courir le risque de se placer dans des situations dangereuses. L’économie de carburant, le risque mécanique, le temps qu’il fait sont autant d’éléments qui conditionnent la réussite de mes prospections.
Les baleines venues s’échouer sont rares, les populations locales les mangent, il leur faut très peu de temps pour dépecer l’animal, le partager entre villageois, et le consommer courant le risque de s’intoxiquer par méconnaissance des causes de l’échouage du cétacé.
Sur certains territoires de pêche, les carcasses sont laissées à l’abandon se décomposant lentement. Mais néanmoins tous les os sont ramassés ils servent ensuite de planches et de châssis à la construction de cahuttes, de ruches. Parfois, il nous est même impossible d’aller sur le site d’échouage, c’est fady (interdit).
A chacune de mes prospections je m’attache à rencontrer les chefs de village, ainsi que les pêcheurs. Je ne peux ramasser un os sans autorisation territoriale, ce geste serait considéré comme impoli. Et c’est après de longues palabres que j’obtiens ou pas l’autorisation de les ramasser.
A chaque expédition, je ne suis jamais certain du résultat de mes quêtes. Le sentiment de disparition, de rareté que j’éprouve est tenace. Demain existera-t-il encore de ces mastodontes des mers? Dans le contexte actuel, il est légitime de se poser la question.
Et puis, je dois faire face également aux interprétations erronées, car d’aucuns vous diront qu’il est interdit d’utiliser ses ossements à des fins commerciales (Conventions de Washington, Conventions de la CITES).
Mais que dire de tout cela, lorsque plusieurs pays n’ont jamais et se refusent catégoriquement de ratifier les conventions baleinières sous le prétexte fallacieux de recherches scientifiques et continuent leurs massacres en toute impunité. Que penser de ces armateurs sans scrupules qui déversent, des tonnes d’immondices toxiques qui empoisonnent ce qui constitue les éléments vitaux de la mer?
Comment réagir envers ceux qui, exploitant la mauvaise conscience de leurs
congénères, les conduisent sous prétexte de tourisme écologique, sur les sites de reproduction, sans vraiment ce poser la question si le va et vient des embarcations, le bruit, les risques de collision ne sont pas des facteurs qui perturbent la tranquillité des cétacés voire menacent leur survie.
Agissons, soyons raisonnables pour faire de notre mieux avec toutes ces divergences de points de vues, qu’ils soient scientifiques ou pour la protection des espèces, pour le tourisme, la culture, ou la pêche.
Les commentaires
lisa
20 octobre, 2016 14 h 52 min
Bonjour, vous dites devoir faire face aux interprétations erronées de la Conventions de Washington. Que voulez vous dire par là? J’habite La Réunion et un ami avait trouvé une cote et une vertèbre de baleine échouée en 1991. Aujourd’hui il voudrait la vendre. Savez vous s’il a le droit de le faire? Bien cordialement.