GUY PRADEL : essai sur mon parcours.
Parler de soi, c’est parler de ses travaux.
Je suis un artiste laborieux, du moins c’est ce que je pense ! Laborieux de par ma formation, mes exigences philosophiques, techniques, et expressifs.
On pourrait m’assimiler à un symboliste réaliste, un baroudeur humaniste et environnementaliste, un traditionnel échappé de ses conventions, à un réactionnaire créatif, un questionneur conteur, un contestataire, un fouilleur de tendance.
Je ne sais pas !
Ce que je sais, c’est cette nécessité, ce besoin intérieur d’évoquer à travers mes travaux, les choses et les aspects de ce monde qui me touchent, me paraissent urgent de relever, de souligner.
Les faits de nos sociétés, les situations contestables, les injustices, les idées reçues, et bien d’autres encore, agrémentés parfois d’une pincée d’humour et de poésie sont autant de sujets à illustrer.
Mais rien de vraiment nouveau dans l’itinéraire d’un artiste.
Donner au regard d’autrui un sens à la modération de toutes choses, d’altruisme et de respect des autres.
Faut-il chercher ou justifier une démarche à travers mon expression ? Quand on me pose cette question, j’aurais beaucoup à dire, comme rien à dire.
Je ne cherche pas à identifier mon expression, ni à être identifié à un style, à une tendance, à un mouvement, l’étiquette m’indispose, me réduit à ce que je ne suis peut-être pas.
La diversité des expressions est riche d’expérience, elle est comme une bibliothèque des sens, dans laquelle chaque artiste éduque et puise son propre regard.
Mon expression est celle qui me correspond, elle est ma pensée, mon discours, ma main, mes émotions, mon style, au moment de sa réalisation, jusqu’à celle de mon public au moment ou il la découvre. A partir de cet instant, elle m’échappe, elle n’est plus mienne.
Au départ, elle traduit ma vie, mes connaissances, mes souffrances, mes amours, mon environnement, mes questionnements, mes engagements. Au regard des acteurs elle se métamorphose en interprétations, parfois même à l’opposé de ses premiers pas.
Elle est incertaine, faite de doutes, elle évite les certitudes, en perpétuelle construction, en perpétuelle évolution, en perpétuelle recherche. Il y a tant à faire qu’une vie ne suffira pas à y répondre.
Seul l’histoire de mon itinéraire, le regard de mes mécènes, de mon public me persuadent et m’assurent la raison d’être de mon travail depuis plus de trente cinq ans.
L’évolution de mes travaux révèle mes états d’esprits.
L’œuvre est un être à part entière, elle est la représentation psychologique des hommes, elle est esprit, et doit pouvoir s’exprimer d’elle même de part son silence, toucher les sens de chacun, la générosité, le goût, l’humanisme, l’engagement, l’investissement, les émotions, le partage, la force, la clairvoyance.
Elle doit accompagner et solliciter au mieux nos désirs de mieux, elle doit si possible nous renverser, nous faire pleurer, nous faire rire, nous émouvoir, nous grandir, elle appartient à tous.
L’œuvre doit être, cathédrale. Elle traduit la transfiguration de l’âme de la matière par la matière.
Pour essayer de rendre possible cette perception de l’œuvre, il est impératif à l’artiste, dans sa plus grande humilité d’être soi, d’oublier l’idée de clientélisme, de valeur, de faire abstraction à toutes formes mercantiles, et se consacrer à la libération et au partage des divers sens.
Aussi, mon parcours m’a amené à faire évoluer ma production et mon dialogue artistique, selon mes besoins, mes attentes et mes possibilités, en gardant pour règle et contrainte le respect d’autrui.
Comme beaucoup, il est un long itinéraire fait d’embûches, mais jamais de désespoirs.
Aujourd’hui, c’est au carrefour d’un art mineur, très souvent considéré comme un patrimoine immatériel populaire, dit d’un pays du sud, ou de matières spécifiques, exceptionnelles à celui-ci, et part l’entremise technique d’un métier d’art majeur, « la marqueterie », considéré pour son rôle d’ennoblissement dans une société dite du nord, que je prospecte, expérimente l’inter culturalité.
Mon propre itinéraire, et mes recherches sur les expressions m’ont progressivement amené à réfléchir sur la notion de transition.
Sortir du clivage culturel, mineur, majeur, réduire la fracture de l’art du pauvre, à celui “d’élitique“, démocratiser les référencements de l’art de tradition, vers un art multi culturel ou les différentes richesses peuvent se métisser. Marier la différence.
Créer des frontières ouvertes sur l’échange, modérer les extrêmes, accepter les divergences, l’expression touche, effleure la politique, comme l’économie, l’environnement, le sociale. L’œuvre est active de part sa fonction humaniste, comme pourrait être une musique, ou la trace d’une grande civilisation. L’œuvre hors son esthétisme peut être est belle, si par son influence positive et respectueuse elle émet sur notre mode de perception de la vie une qualité.
J’avais pressenti cette relation créative lors de mes premiers voyages en tant que consultant designer au service des artisans en Afrique du Nord et dans l’Océan Indien.
Mais c’est en 1998, que mon expression s’est vue renforcer dans cette optique, lorsque par choix, j’ai décidé de connaître et vivre l’émigration. Réussir cette démarche c’est accepter, par nécessité d’intégration le partage et l’échange culturel des peuples.
Reconsidérer son regard, et ses exigences, réapprendre les lois qui font que les états et la vie dans le monde fonctionnent de façons et de valeurs différentes des nôtres.
Les cultures, les matières, les couleurs, comme les savoir-faire sont différents, nouveaux.
Relever ces richesses, les mettre en corrélation avec soi, sa propre culture, son savoir-faire, son expression, à l’écoute des hommes et de ce nouveau paysage d’humanité est riche d’enseignement.
Il nous apprend par exemple que le contraste de certaines notions, telles que : Blanc / noir ; Nord / Sud ; Culture élitique / culture primitive ; Pays riches / pays pauvres ; Art majeur / art mineur, sont des idées reçues, tirées d’un fantasme de domination, et si aujourd’hui nos sociétés contemporaines souhaitent intégrer l’idée d’une mondialisation culturelle, le rapprochement interculturel est indispensable au processus d’ouverture et à la démocratisation de l’art pour tous, sans pour autant aller vers la facilité, c’est, me semble-t-il, la qualité qui cimente une bonne fondation.
Ces contrastes servent à la modération, par contre, il est essentiel de porter son regard au delà de nos propres frontières, pour y voir clair. L’apprentissage est long, très long et exigeant, il faut être disposé à tout réapprendre sans faire une seule fois référence à son passé pour y arriver.
L’histoire de l’art, d’ailleurs, nous démontre ce rapport aux influences interculturelles, et généralement ces expressions sont très souvent situées légèrement en amont des grands mouvements industriels, économiques, culturels et politiques, comme une annonciation.
J’ai toujours pensé qu’être considéré comme artiste n’était pas le fait d’un moment, mais le fait d’une vie. Et si aujourd’hui, ce n’est pas ses œuvres qui font l’artiste, mais son discours.
Alors, ses œuvres deviennent ses mots et leur assemblage est autant de mots qui formulent le texte conceptuel de son parcours artistique.
LA CONSTRUCTION CREATIVE;
Mes œuvres s’approchent plus du textuel que du chromatique, dont les sens se dévoilent au fur et à mesure de leur lecture en différentes phases temporelles.
La part du hasard est celle du support, de sa rencontre. Rien ne me prédispose à choisir un support plutôt qu’un autre. Par contre sa nouveauté me permettra une remise en cause et contribuera à mes futures recherches d’expérimentations sur les notions du sens, de la perception, de l’esthétisme, des techniques.
Ces choix se sont faits au départ, au travers d’une démarche d’aventure, à la rencontre de villages, de traditions ethniques, de lieux, ou de la découverte de matières pouvant transiter à nos yeux l’histoire d’une vie.
Aujourd’hui, de construction en exposition, je continue mes prospectives, et mes supports prennent une autre dimension, plus engagées, aux vues des thèmes sensibles que génèrent nos sociétés de par le monde.
A travers cette période haute en symbole, et tendance d’appartenance ou toutes formes d’expressions peuvent jouer un rôle de dissidence, de division ou de rapprochement culturel.
Il me semble important d’assouplir ces images restrictives d’appartenance, et créer des passerelles respectueuses entre elles.
Réussir une œuvre, demande plus qu’une intention artistique, elle demande l’exigence attentive des émotions.
A la lecture de mon travail, sur un sujet, un thème, une forme… et dès le premier regard, les acteurs spectateurs doivent percevoir la notion de spontanéité, ce besoin d’expression sans fard, honnête.
L’œuvre réfléchie doit se découvrir avec le temps pour laisser aux lecteurs, apparaître ses sens, la connaissance, et traduire ses capacités d’interprétations.
L’œuvre doit nous apporter sa part de sacré.
L’émotion, la vibration, dont les interconnexions sont celles d’une puissance divine, doivent caresser l’âme de chaque spectateur.
Elle vient d’une part de la nécessité intérieure de l’artiste, d’autre part de la substance des matières utilisées, et de leurs complémentarités stellaire. Son origine est la nature des choses universelles. L’œuvre vraie est en permanence ouverte aux interprétations.
Contrairement à certaines théories de désacralisation de l’art, je pense que l’œuvre, absurde ou pas, a et garde un rôle sacré sur les hommes et nos sociétés.
L’origine du doute est sacrée.
Aussi, je m’efforce à transférer dans chaque pièce la notion de maîtrise de l’art. Cette notion est pour moi, un moyen supplémentaire de justifier le respect et la mise en valeur des matières ainsi transformées. Ces matières ne sont-elles pas composées des mêmes origines cellulaires que les hommes ?
L’excellence d’un savoir-faire se sépare du médiocre et la qualité créative technique va pouvoir en émerger. Plus réservé aux connaisseurs, mais perceptible par le néophyte, cette appréciation qualitative du savoir-faire fait toujours partie des éléments importants à la reconnaissance d’une œuvre. Il est le garant de la rupture du passage entre tradition, innovation et modernité.
Il est à ma connaissance clair que ce dernier point peut être soumis aux controverses du « monde de l’art », et pose toujours un dilemme conceptuel.
Un défi permanent fait de jeux d’expérimentations, d’effets de matières, de contraintes, de raretés, de philosophies, d’humanisme, d’environnementalisme, tels sont les enjeux créatifs que je me suis donnés pour partager la dimension sociale de mes travaux.
Guy PRADEL,
guypradel@yahoo.fr/www.guypradel.com/